Ces coops qui se tournent vers la vente
Surprise ! Après maintes annonces de coopératives en faveur du conseil, les assemblées générales de fin d’année ont dévoilé des stratégies orientées vers la vente. Des décisions difficiles au vu du peu d’informations sur le contenu final des textes. Par Marion Coisne
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Ne pas savoir et risquer gros : rien de mieux que cette combinaison pour rendre un sujet particulièrement anxiogène. Pour la distribution agricole, la séparation conseil et vente phytos revient comme le sparadrap du capitaine Haddock depuis l’élection d’Emmanuel Macron, qui en avait fait une promesse de campagne. L’échéance se rapproche à grands pas : l’application est prévue pour le 1er janvier 2021, même si le ministre de l’Agriculture a laissé entendre au congrès de La Coopération agricole, à la demande de son président, Dominique Chargé, qu’un délai de six mois pourrait faire l’objet d’une réflexion. En attendant, même si les textes ne sont pas parus, les entreprises commencent à sortir du bois. Pas de surprise du côté du négoce, qui veut conserver la vente. La situation est plus surprenante du côté des coopératives. Michel Prugue, alors président de Coop de France, indiquait fin 2017 : « Nous ne nous séparerons jamais du conseil car il est constitutif de notre raison d’être ». Deux ans plus tard, les positions ont finalement changé, les annonces des AG de la fin d’année montrent que la vente est souvent préférée.
Il faut dire que le choix est cornélien, comme le résumait mi-décembre Jacques Bourgeais, DG de la Cavac : « On considère devoir être moteur sur le choix des produits, a fortiori sur des filières à cahier des charges, et au niveau de la logistique, on imagine assez mal de s’en désintéresser, il faut que les produits soient disponibles au bon moment. Et malgré tout, le conseil agronomique restera un enjeu majeur pour une entreprise comme la nôtre. »
Difficile rentabilité du conseil
Pencher pour le conseil pose la question du modèle économique : l’apport des produits phytos dans le chiffre d’affaires est loin d’être négligeable, et permet souvent d’investir dans d’autres activités. Jean-Paul Palancade, à la tête du réseau de négoces Agrosud, avait chiffré à l’automne : « Si on passe sur le conseil, il faudrait licencier un quart à la moitié des collaborateurs ». En outre, quel contrôle des produits achetés ailleurs et appliqués dans le cas des filières avec des cahiers des charges ? En face, si le choix est celui de la vente, la situation n’est pas rose non plus. Quelle rentabilité des produits phytos demain, entre une baisse des applications et une marge qui se réduit comme peau de chagrin, conséquence notamment de la fin des 3R depuis le 1er janvier 2019 ? Mi-décembre, Agora, sans avoir encore officiellement fait son choix, annonçait avoir décidé de réduire de 10 points sa marge sur les phytos et de facturer le conseil aux agriculteurs. « La facturation du conseil ne couvrira qu’entre un tiers et 40 % de la baisse de marge sur les phytos », précisait Jean-Xavier Mullie, directeur de la coop de l’Oise. Dans la Loire, Bertrand Relave, DG d’Eurea, l’affirme : « On prendra la vente. On ne veut pas laisser les agriculteurs sans moyen de production, sachant qu’on est les seuls sur notre territoire à avoir cette capacité logistique. » Quant au conseil, « on cherche des partenaires ». Chez Île de France Sud, si officiellement le choix n’a pas été fait, « implicitement, on choisira la vente », glissait le DG, Hervé Courte, en marge de l’AG. Dans l’Eure, Sevépi a décidé de garder la vente et de laisser l’agriculteur choisir où bon lui semble le conseil stratégique annuel. On peut imaginer aussi que les coops qui vont travailler avec Aladin vont choisir la vente… « Clairement, on recommande la vente et les services, car c’est le moteur du modèle économique des coopératives », appuie Thierry Blandinières, DG d’InVivo.
Des liens entre conseil et vente ?
La redistribution des cartes dépendra aussi de l’application de la séparation capitalistique. Le texte laissant une certaine souplesse, quid de liens entre conseil et vente, dans le respect du cadre légal ? Actuellement, l’ordonnance indique qu’une personne exerçant une activité de vente ne peut détenir plus de 10 % du capital d’une personne morale exerçant une activité de conseil, et vice-versa. Et en cumulé, cet actionnariat ne peut dépasser 32 %. Quant à un actionnaire ou associé commun aux deux types de structure, sa part ne peut excéder 10 %. Enfin, les administrateurs et dirigeants ne peuvent pas être communs entre structures de vente et de conseil, avec une exception pour les élus de chambre d’agriculture, en dehors de ceux siégeant au bureau et du président. Reste à voir les derniers textes attendus… À rebours de ses consœurs, Bourgogne du Sud prend la voie du conseil, mais l’inquiétude pèse sur l’avenir des activités appros. « Que deviendront Area et nos outils agréés ? J’espère que la loi nous permettra de trouver une solution intelligente », s’alarme le président, Didier Laurency. Les décisions vont peser dans les résultats et surtout en termes de ressources humaines. Prudentes, d’autres préfèrent attendre, comme Eureden (Triskalia-d’aucy) ou la Cavac. Même si, comme le glisse un dirigeant, « on a sa petite idée quand même ». C’est peut-être Yves Courrier, DG de Coopaca, dans l’Allier, qui résume le mieux la situation : « Nous serons présents sur la distribution et nous ne serons pas absents du conseil ».
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